Au Pays Basque, les flûtes traversières les plus courantes étaient celles en bois ou en métal. Celles en bois étaient fabriquées principalement en buis ou en ébène. Nous en avons connu quelques-unes aussi en roseau. Dans tous les cas, une des extrémités du tuyau est fermée et il existe un trou de ce côté qui remplit la fonction d’embouchure. Tout au long du tube, il y a des trous pour le doigté. Les plus modernes comportent généralement des clefs afin de fermer et d’ouvrir ces trous. De petites flûtes traversières en bois ou en roseau appelées fifre1 étaient également utilisées.
Toutes ces flûtes se jouent avec les deux mains, en amenant aux lèvres le trou qui sert d’embouchure et en soufflant l’air contre le bord de ce trou.
HISTOIRE
Même si nous ne savons pas grand-chose sur l’extension de ces flûtes dans les siècles passés, on sait qu’en 1765 le fifre Cristóbal Echeverría se rendit d’Arbizu aux Fêtes de San Fermín de Pampelune (Navarre) pour jouer de la musique, accompagné de deux tambours (Ramos, 1990, p. 105).
Dans son livre Los Txistularis de la Villa de Bilbao (1999), Carmen Rodríguez Suso recueillit des informations sur l’évolution des fifres de la capitale biscayenne aux XVIIIe et XIXe siècle.
(Source : Rodriguez Suso, 1999, 19-20)
Apparemment, ces musiciens se révélèrent au fil des années : même si au début ils ne jouaient que lors des cérémonies officielles en tant qu’employés municipaux salariés, peu à peu ils exercèrent le rôle des tambourineurs, s’occupant aussi de la musique des jours fériés. À Bilbao, la même personne se chargeait semble-t-il de jouer du fifre, du txistu et du tambourin ; en 1772, tel était le cas par exemple de José Antonio de Lizaso y Egaña, le tambourineur municipal2.
(Source : Rodriguez Suso, 1999, 19-20)
À la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, aux côtés d’interprètes de guitare, bandurria, luth, violon, clarinette et tambourin (tambour de basque), nous pouvions trouver des interprètes de flûte traversière lors des rondallas [troupes de musiciens à cordes] de nombreux villages, dans les milieux urbains, tant sur la côte que dans les terres. Sur cette photo impressionnante de 1894, nous voyons un de ces ensembles musicaux sur la promenade Ezkiaga d’Hernani :
Hernani, 1894. (Source : Beltran, 1996)
Dans la zone d’Antzuola, le père et l’oncle des frères Augusto et Benito Lamariano avaient l’habitude d’emporter avec eux deux flûtes de ce type, jouant lors des processions qui se tenaient au port de déchargement et ses environs au début du XXe siècle. Ils continuèrent à exercer ce métier jusqu’à la guerre de 1936. Ils utilisaient deux flûtes différentes ; l’une était une flûte courante et l’autre, une plus petite appelée tertziola. Des années plus tard, les frères Augusto et Benito commencèrent à jouer dans la région avec ces deux flûtes, aux côtés d’un tambourineur de Beasain qu’ils surnommaient « Danbor ». Dans leurs dernières années, ces frères abandonnèrent les flûtes traversières pour jouer de la dultzaina. Dans l’entretien que nous lui consacrâmes, Benito Lamariano Agirre nous expliqua ceci :
« Notre père jouait de la flûte. Il formait un duo avec son beau-frère. Notre père jouait d’une flûte appelée « tertziola »3 et notre oncle d’une flûte plus grande. Le groupe était composé des deux flûtistes et d’un joueur de tambour. Ils jouaient dans les processions et mariages de la région. Ils animeraient une centaine de mariages… Ils jouaient des valses, des fandangos, des « arin-arin » et ainsi de suite ».4
Comme on peut le voir sur cette photo prise par Martín Ricardo en 1917 lors d’une procession ou d’un bal au mont Urgull de Saint-Sébastien (Guipúzcoa), à l’instar des frères Lamariano d’Antzuola, les musiciens qui apparaissent sur la photo jouent de deux flûtes différentes, l’une courante et l’autre plus petite.
Des jeunes dansant à Urgull (Saint-Sébastien), 1917. (Photo : Martin Ricardo. Kutxa Fototeka)
La flûte tertziola des Lamariano d’Antzuola. (Photo : JMBA)
À Azkoitia (Guipúzcoa), nous avons un ensemble musical formé par les élèves d’un collège, qui apparaît sur cette photo aux alentours de 1900. On peut voir des flûtes traversières :
Étudiants avancés. (Source : Elias, 1999, p. 432)
Parades
Dans plusieurs villages du Pays Basque, les parades, c’est-à-dire des défilés ou manifestations à caractère militaire auxquels participe la population, font partie du programme de festivités depuis quelques siècles. Elles se déroulent, entre autres lieux, à Fontarabie, Irun, Tolosa, Antzuola (Guipúzcoa) et Elorrio (Biscaye). Lors de ces événements, la musique occupe une place de choix et, en général, on joue des instruments à vent et des tambours.
Sur cette vieille photo de la Parade d’Irun (Guipúzcoa), nous pouvons voir la flûte traversière accompagnée de tambours.
Parade d’Irun, aux alentours de 1900. (Source : Irungo Alardea. (1996). San Martzial Eguna. Enixe Records.)
Il est documenté que trois fifres et trois tambours sortirent jouer dans la procession de la Parade d’Irun de 1863. Cette année-là est réputée avoir marqué le début de la tamborrada5. Les txilibitos (flûtes droites à bec jouées des deux mains) firent leur apparition dans les années suivantes et nous pouvons voir ces deux types de flûte ensemble sur les photos du début du XXe siècle.
Il convient de noter que le nom principal utilisé à Irun pour désigner cette flûte est txilibito, mais on l’appelle aussi pífano (fifre).
En 1927, txilibitos et fifres ensemble lors de la Parade d’Irun. (Source : Retegui, 2003, p. 108)
L’estudiantine de Lekeitio
Au Carnaval de Lekeitio (Biscaye), l’estudiantine locale arpente les rues en interprétant des chansons et de la musique sur des faits divers survenus dans le village. L’estudiantine est l’occasion d’écouter les guitares, bandurrias, luths, tambourins et clarinettes, mais aussi les flûtes traversières.
Lekeitio, 1932. (Source : Lekeitioko Estudiantina. (1983). Aratuste Alai. IZ-185)
Les « atorrak » de Mundaka
Au Carnaval de Mundaka (Biscaye), les personnages appelés « atorrak » sillonnent les rues de la commune en régalant les habitants de leur musique. Dans cet ensemble similaire à la rondalla, on a toujours utilisé des flûtes traversières.
Les « atorrak » de Mundaka. (Photo : Jon Kortazar. Source : Feliu, 1987, p. 138)
Flûtes traversières du milieu rural
En dehors du cadre urbain, les flûtes traversières étaient présentes également. Francisco Gárate « Patxi Agerre », habitant d’Itziar (Guipúzcoa), jouait de la flûte avec sa femme qui l’accompagnait au tambour de basque6.
Dans la région de Biscaye, comme nous l’expliqua J. J. Abasolo « Tiliño »7, au début du XXe siècle on jouait des flûtes traversières de structure simple fabriquées en roseau.
Nicolás Jayo, né à Durango dans les années 10, jouait du tambour, de la dultzaina et de la flûte traversière (flautia). Il avait l’habitude de jouer du tambour accompagné du dultzainero Pedro Etxebarria, originaire de Maguna8 (né dans la même décennie). Il semblerait que Nicolás jouât aussi souvent de la flautia à l’occasion des fêtes et événements. Tous deux furent honorés par l’hommage des trikitalaris organisé à Iurreta en 1989.
En suivant les explications de Tiliño, nous reproduisîmes la flûte traversière de Nicolás, d’une longueur de 30 à 40 centimètres et d’un diamètre de 2 à 3 centimètres. Tiliño la valida quand nous la lui montrâmes.
En voyant la flûte traversière, le dultzainero mañariarra Juan Bilbao lui confia qu’ils jouaient eux-mêmes d’une flûte similaire fabriquée en roseau quand ils étaient jeunes9. Il promit de lui en fabriquer une, mais il décéda peu après et ne put tenir sa promesse.
Flautia en roseau. Collection JMBA, nº 1189. (Photo : Emovere – Soinuenea)
Itziar, année 1920. Ensemble musical composé d’une flûte et d’un tambourin. Francisco Gárate « Patxi Agerre » et sa femme, Juana María Beristain « Errementerikoa ». (Source : Aguirre, 1992, p. 49)
Dans les villages alentour
Dans les Landes voisines de Gascogne, il est encore courant d’entendre la petite flûte traversière appelée fifre, formant un ensemble avec le tambour.
Fifre et tambour dans les Landes de Gascogne. Carte postale Types landais – Le boeuf gras. (Source : Mabru, 1988)
Fifre, tambour et bombo. Bazas (Gascogne), 1938. 1938. (Source : Mabru, 1990)
La flûte traversière dans les groupes de folk basques
À partir des années 70, à l’instar d’autres parties du monde, le mouvement folk commença à prospérer aussi dans le Pays Basque. Les groupes de folk réinterprétaient de la musique d’origine traditionnelle et créaient également de nouveaux morceaux d’influence populaire. La flûte traversière occupait une grande place dans ce type de groupes (dans les groupes Oskorri ou Azala, par exemple), et elle leur donna même parfois une identité sonore caractéristique.
ICONOGRAPHIE
Labourd
BIARRITZ
ÉGLISE SAINTE-EUGÉNIE
Les deux vitraux de l’église néogothique de Sainte-Eugénie à Biarritz illustrent chacun un ensemble d’anges musiciens, et sur chacun d’eux nous pouvons voir un ange jouant de la flûte traversière.
Ange jouant de la flûte traversière représenté dans la partie supérieure du vitrail de la Naissance de l’église Sainte-Eugénie. (Photo : JMBA)
Ange jouant de la flûte traversière représenté dans la partie inférieure du vitrail de Jésus bénissant les enfants de l’église Sainte-Eugénie. (Photo : JMBA)
NAVARRE
OLITE
ÉGLISE DE SANTA MARÍA LA REAL
La construction de la façade principale s’acheva aux alentours de l’an 1300. Sous sa grande rosace, l’entrée principale est formée par huit archivoltes et sur la base de la partie droite de la première apparaît un ange jouant de la flûte.
Ange flûtiste à l’entrée principale de l’église de Santa María la Real, à Olite. (Photo : JMBA)
SESMA
PAROISSE DE LA ASUNCIÓN
Dans la partie supérieure de l’orgue rococo de 1771 qu’abrite la paroisse de la Asunción de Sesma, on remarque un ange jouant de la flûte traversière.
Sur le même orgue, dans la partie avant de la base, il y a d’autres personnages jouant des instruments de musique, dont un ange qui joue de la flûte traversière.
Ange flûtiste sur l’orgue de la paroisse de Sesma. (Photo : J.I. Larraioz-JMBA)
Ange flûtiste sur l’orgue de Sesma. (Photo : J.I. Larraioz-JMBA)
SORLADA
ÉGLISE DE SAN GREGORIO OSTIENSE
Sur les plafonds polychromes de l’église de San Gregorio Ostiense de Sorlada, on peut voir plusieurs anges avec des instruments, dont un jouant de la flûte traversière.
Ange flûtiste de l’église de Sorlada. (Photo : JMBA)
NOTES
1 F. Pedrell (1894) donne cette définition dans son dictionnaire : « Pífano, […] Fifre (fr.) […]. Instrument à vent, petite flûte d’un son très aigu qui se joue comme de la flûte traversière et accompagné d’un tambour ou caisse […] ». (p. 868)
2 Rodríguez Suso, Carmen. (1999). Los Txistularis de la Villa de Bilbao. Bilbao: BBK - Bilbao Bizkaia Kutxa.
3 Caractéristiques de la tertziola : cette flûte en ébène mesure 52 centimètres de long et est fabriquée en cinq parties. Elle comporte 5 clefs métalliques pour construire l’échelle chromatique. Complètement fermée, elle donne un F4 dans le registre grave et un F5 dans le registre aigu. Complètement ouverte, elle donne un E5 dans le registre grave et un E6 dans le registre aigu.
4 Texte original : “Aitak flauta jotzen zuen. Bere koinatuarekin jotzen zuen, "duo" eginez. Gure aitak "tertziola" deitutako flauta jotzen zuen eta besteak flauta handiago bat. Taldea, aipatutako bi flauta-jole eta danbor-joleak osatzen zuten. Inguruko erromerietan eta bodetan jotzen zuten. Ehun bat boda pasatuko zuten haiek... Baltseoa, fandango, arin-arin eta halakoak jotzen zituzten”. Entretien réalisé par J. M. Beltran à Benito Lamariano Agirre à Antzuola le 30 octobre 1998. Voir : Beltran, J. M. (2004). Dultzaina Gipuzkoan. 1950. hamarkada arte. Oiartzun: Herri Musikaren Txokoa.
5 Voir : http://tamborradaalardeirun.com/historia/ (Consultée le 18/08/2021).
6 Ce musicien était originaire de la ferme Agerre de Lastur. Sa famille nous a dit qu'en plus de jouer de la flûte, Patxi jouait de la douceur et du txistu. C'est ce que l'on peut lire au numéro 82 de la revue DEBA (2012), page 49. (Voir : https://www.deba.eus/fitxategiak/DebaAldizkaria/Num82zkia_DEBA_2012_uda_t.pdf, consultée le 20/10/2021)
7 Entretien réalisé par J. M. Beltran à l’Iurretarra J. J. Abasolo « Tiliño » en 1998.
8 Maguna, Maume, Mauma : la commune de Muxika.
9 Raconté par Tiliño dans la conversation du 12 novembre 2004.
SOURCES
BibliograPHIE
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