Dans son ouvrage Instrumentos Musicales en los Museos de Urueña, le musicologue Joaquín Díaz présente cet instrument de la manière suivante, sous le nom d’orgue de main :
« Orgue de Main. Une soufflerie alimente en air une chambre fermée, qui, grâce à un réseau complexe de canaux, envoie ce même air dans des tuyaux ou flûtes. Cet envoi est réalisé sélectivement à travers un clavier. Une main de l’interprète manœuvre la soufflerie tandis que l’autre presse les touches. En raison de l’absence d’un soufflet-poumon, c’est-à-dire d’un réservoir qui régule le flux constant d’air, l’instrument doit respirer, comme le ferait un chanteur, interrompant l’émission pour prendre de l’air.
La dimension de ces orgues, appelés aussi portatifs, était très variable, allant des orgues de petite taille, que l’on portait suspendu en bandoulière au moyen d’une courroie, aux orgues de grande taille, que l’on posait sur une table. Le terme portatif désigne la mobilité relativement aisée de l’orgue par rapport au terme positif qui désigne la possibilité d’installer ou de placer l’instrument en divers endroits, à la différence des grands orgues, qui sont immobiles ».1
Si les tuyaux des orgues portatifs conservés à ce jour sont comparables aux flûtes à biseau, le musicien Adolfo Salazar affirme qu’ils pouvaient être aussi à anche (1989, 167-168).
Orgue portatif. Collection JMBA, nº 1574. (Photo : O. Zapirain – Soinuenea)
L’ORGUE PORTATIF AU PAYS BASQUE
Dans le livre Historia de la música medieval en Navarra (1970), du musicien et historien Higinio Anglés, il est fait mention d’orgues portatifs dans les cours royales de Navarre à l’époque de Charles II le Mauvais et dans celle de Charles III le Noble (1361-1425), ainsi que dans la cour d’Aragon2. Ce travail cite également quelques noms de fabricants et d’interprètes de ce type d’orgue des XIVe et XVe siècles.
L’ouvrage Iconografía Musical de la Catedral de Pamplona (2004), de Clara Fernández-Ladreda, parle d’orgues de différentes tailles et fonctions. Il indique que les deux orgues que nous pouvons trouver dans l’iconographie de la cathédrale de Pampelune (voir le point suivant sur l’iconographie) sont manifestement portatifs. Cependant, la documentation navarraise mentionne les deux types : d’une part, les petits orgues portatifs, qui étaient utilisés non seulement dans les cours mais aussi dans les célébrations profanes, et de l’autre, les orgues positifs, un peu plus grands, mais pas autant que les carolingiens, par exemple, celui de la chapelle royale d’Olite et celui de l’église de Santa María (p. 19-21).
ICONOGRAPHIE
Les figures d’orgues portatifs que nous avons trouvées dans l’iconographie ecclésiastique du Pays Basque appartiennent essentiellement aux XIVe et XVe siècles.
Alava
VITORIA-GASTEIZ
CATHÉDRALE DE SANTA MARÍA
Sur le portail des XIVe-XVe siècles de la cathédrale de Santa María de Vitoria-Gasteiz, nous voyons un riche échantillon d’iconographie musicale. Parmi les musiciens dans la première archivolte de la porte gauche, il en apparaît un jouant de l’orgue portatif à côté d’autres interprètes.
Interprète d’orgue portatif sur la porte gauche du portail de la cathédrale de Santa María de Vitoria. (Photo : JMBA)
LAGUARDIA
ÉGLISE DE SANTA MARÍA DE LOS REYES
Cette église possède un magnifique portail du XIVe siècle. Ses archivoltes montrent de nombreux rois et anges musiciens, et leurs instruments sont créés avec un souci du détail. Parmi les interprètes représentés, il en figure un qui joue de l’orgue portatif. On distingue très nettement toutes les caractéristiques de l’instrument de musique et la courroie que le musicien porte suspendue au col.
Interprète d’orgue portatif sur le portail de l’église de Santa María de los Reyes de Laguardia. (Photo : JMBA)
Biscaye
LEKEITIO
BASILIQUE DE LA ASUNCIÓN DE SANTA MARÍA
La basilique de la Asunción de Santa María de Lekeitio, construite au XVe siècle, bénéficie d’une riche iconographie musicale de l’époque. On peut aussi voir de nombreux musiciens sur les vitraux du XIXe siècle, dont un jouant de l’orgue portatif.
Interprète d’orgue portatif sur les vitraux de la Basilique de Lekeitio. (Photo : JMBA)
SANTECILLA (Vallée de Carranza)
PAROISSE DE SANTA CECILIA
À l’église paroissiale de Santa Cecilia de Santecilla, qui date du XVIe siècle, dans la niche située au-dessus de l’entrée, nous voyons la statue de sainte Cécile, patronne des musiciens, tenant dans les mains un petit orgue portatif3.
Sainte Cécile avec l’orgue portatif à Santecilla. (Photo : E.X. Dueñas)
Guipúzcoa
DEBA
ÉGLISE DE SANTA MARÍA
Sur le portail polychrome de l’église de Santa María de Deba (XVe siècle), il y a un ensemble complet et varié de musiciens composé de plusieurs anges, où nous pouvons voir des interprètes d’instruments à cordes pincées et frottées, des interprètes d’instruments à vent tels la chirimía (hautbois ou chalémie) et le xirolarru (cornemuse), auxquels s’ajoute un ange musicien qui joue d’un orgue portatif.
Interprète d’Orgue portatif sur le portail de l’église de Santa María de Deba. (Photo : JMBA)
GETARIA (quartier d’Askizu)
ÉGLISE DE SAN MARTÍN
Sur le retable de l’église de San Martín de Askizu, du XVIe siècle, apparaît un ange jouant de l’orgue portatif dans la scène du Couronnement de la Vierge Marie et la Sainte Trinité4. De l’autre côté de la scène, on remarque un interprète de rebec.
Interprète d’orgue portatif de l’église de San Martín. (Photo : JMBA)
OÑATE
UNIVERSITÉ SANCTI SPIRITUS
À la chapelle de Sancti Spiritus de l’Université d’Oñate, du XVIe siècle, dans l’entre-travée du premier registre du retable principal, on peut observer l’image d’un putto (amour) jouant d’un orgue portatif5.
Interprète d’orgue portatif de la chapelle de Sancti Spiritus de l’Université d’Oñate. (Photo : E.X. Dueñas)
Labourd
BAYONNE
CATHÉDRALE DE SAINTE-MARIE
Beaucoup de musiciens sont représentés dans la riche iconographie de la cathédrale de Bayonne, mais seules des sculptures du XIIIe siècle sont conservées à l’intérieur, sur le portail de la sacristie, sur la double porte de style gothique par où l’on accédait au cloître. Sur les deux archivoltes du portail gauche, on peut voir un groupe musical varié composé de quatorze anges.
Dans l’archivolte extérieure, nous trouvons huit musiciens. De gauche à droite : un percussionniste avec des cymbales, un interprète de xirolarru, un interprète de vielle à roue, un musicien avec une flûte d’une main et des castagnettes, un interprète de tambourin carré, l’interprète d’orgue portatif que nous présentons ici, un luthier et un cithariste6.
Dans l’archivolte intérieure, nous trouvons six musiciens. De gauche à droite : un joueur de rebec, un interprète de mandoline, un musicien avec une flûte d’une main et un tambour, un harpiste, un joueur de rebec et un musicien avec un instrument à vent à trois tuyaux.
Musicien avec orgue portatif sur l’archivolte extérieure du portail de la sacristie de Bayonne. (Photo : JMBA)
BIARRITZ
ÉGLISE SAINTE-EUGÉNIE
Les deux vitraux de l’église néogothique Sainte-Eugénie, à Biarritz, illustrent deux ensembles d’anges musiciens, et sur chacun d’eux nous pouvons voir un ange jouant de l’orgue portatif. Au-dessous du vitrail de la Naissance, sur la frise du mur, on peut voir une procession de femmes saintes et vierges portant la Sainte Face. L’une d’elles joue de l’orgue portatif.
Un ange jouant de l’orgue portatif, dans la partie supérieure du vitrail de la Naissance de l’église Sainte-Eugénie. (Photo : JMBA)
Un ange jouant de l’orgue portatif, dans la partie supérieure du vitrail de Jésus bénissant les enfants de l’église Sainte-Eugénie. (Photo : JMBA)
Orgue portatif dans le groupe de femmes saintes et vierges de la frise du mur située au-dessous du vitrail de la Naissance de l’église Sainte-Eugénie. (Photo : JMBA)
Navarre
PAMPELUNE
CATHÉDRALE DE SANTA MARÍA LA REAL DE PAMPELUNE
La cathédrale de Pampelune est un bâtiment gothique du XIVe siècle. Elle comprend une iconographie musicale abondante et variée : gaitas, rebecs, vielles à roue, tamborilero ou txistularis8 et la bien connue soka-dantza (danse en corde), sans oublier deux orgues portatifs.
À la base du jambage gauche de la porte de l’Amparo, on observe un musicien avec un orgue portatif, dans un trio formé avec deux autres musiciens qui jouent du xirolarru et du rebec.
Interprète d’orgue portatif à la base du jambage gauche de la porte de l’Amparo de la cathédrale de Pampelune. (Photo : JMBA)
Dans l’archivolte qui surmonte l’Épiphanie de la cathédrale, on peut voir également un autre musicien jouant de l’orgue portatif avec d’autres anges instrumentistes.
Ange jouant de l’orgue portatif à la cathédrale de Pampelune, dans l’archivolte qui surmonte l’Épiphanie. (Photo : JMBA – J. I. Larraioz)
NOTES
1 Díaz, J. (sans date). Instrumentos Musicales en los Museos de Urueña. Órgano de mano. https://funjdiaz.net/museo/ficha.php?id=43.
Órgano de Mano. Un fuelle alimenta de aire una cámara cerrada, que, merced a un complejo diseño de conductos, envía ese mismo aire a unos tubos o flautas. Este envío se realiza selectivamente a través de un teclado. Una mano del intérprete maneja el fuelle, y la otra pulsa las teclas. Debido a la ausencia de un fuelle–pulmón, es decir, de un depósito que regule el flujo constante de aire, el instrumento tiene que respirar, como lo haría un cantante, interrumpiendo la emisión para tomar aire.
Las dimensiones de estos órganos, llamados también portativos, era muy variable y abarcaba desde los de menor tamaño, que se colgaba del hombro por medio de una correa, hasta los más amplios de tesitura, que se colocaban sobre una mesa. El término portativo se refiere a la movilidad relativamente fácil del órgano, frente al de positivo, que hace referencia a la posibilidad de emplazar o posicionar el instrumento en diferentes lugares, a diferencia de los grandes órganos, que son inmóviles.
2 Anglés, 1970, p. 259-260, 268-269, 298, 325.
3 Ríos Álvaro, 2019, p. 308.
4 Ríos Álvaro, 2019, p. 75.
5 Ríos Álvaro, 2019, p. 283.
6 Le mot psalterium est également utilisé pour désigner la citare.
7 Bandurria ere deitzen zaio soinu-tresna honi.
8 Danbolinteroari gaur egun nagusiki txistularia deitzen zaio.
SOURCES
BIBLIOGRAPHIE
ANGLÉS, H. (1970). Historia de la música medieval en Navarra. Institución Principe de Viana.
DÍAZ, J. (sans date). Instrumentos Musicales en los Museos de Urueña. Órgano de mano. https://funjdiaz.net/museo/ficha.php?id=43. (Consultée le 20/10/2021)
FERNÁNDEZ-LADREDA, C. (2004). Iconografía musical de la Catedral de Pamplona. Música en la Catedral de Pamplona Nº 4. Capilla de Música Catedral de Pamplona.
RÍOS ÁLVARO, K. (2019). Iconografía musical en el País Vasco hasta 1600: Catalogación y estudio Tomo I. [Thèse de doctorat inédite].
SALAZAR, A. (1989). La música en la sociedad europea. II. Hasta fines del siglo XVIII. Alianza Editorial.